Le Ranquet en Vadrouille...Carnet de route.

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Soudan 6, Kerma et les Pharaons Noirs...

Soudan 6, Kerma et les Pharaons Noirs…

 

 

 

 

C’est l’œuvre de toute une vie…

 

 

Un engagement. Comme si les Pharaons lui avaient fait signe de quitter les coteaux pentus de son vignoble Suisse pour venir fouiller le sable de Nubie.

 

Il y a un demi-siècle,  la tête dans le guidon, les archéologues de tout poil se bousculaient en Égypte.

 

Plus au sud, dans une démarche marginale et visionnaire, le Suisse Charles Bonnet choisit de creuser le sol au Soudan, presque seul.

 

 

 

 Il laisse tomber le sécateur et la taille de la vigne pour manier la pelle et remuer le sable du désert !

 

 

 

Le bonhomme a maintenant 84 ans, la poignée de main est franche, il ne fait pas son âge. 

 

 Modeste maison en dur, un peu à l’écart du village de Kerma,  Il me reçoit sur le pas de porte.

 

 

Il ne peut rien pour nous :

Les quelques chambres qui  jouxtent son habitation sont occupées, c’est l’époque des fouilles.

Nous devrons retourner au village, sur place on trouvera une « locanda » à louer.

 

 

« Vous venez du Sud…Vous savez alors comment vous loger » me sourit-il.

 

 

 

Je n’ai pas eu le culot, j’aurais aimé prendre une photo, mais j’ai été surpris de sa présence ;

 

Au service de l’archéologue, j’imaginais rencontrer un Soudanais  gérant l’habitation et les chambres à louer.

 

Mais non, c’est bien Charles Bonnet qui se tient devant moi, une pointure de l’archéologie Nubienne, le découvreur des Pharaons Noirs !

 

 

C’est un peu comme si on rencontrait au bord d’un cratère Haroun Tazieff !

(au paradis des volcans depuis quelques années)

 

 

Retour sur une journée pas très simple :

 

 

Karima, tôt le matin, les paysans font le commerce de  la luzerne.

 

Nous patientons pour grimper dans un minibus à destination de Kerma.

 

 

 

 Marie occupe son temps d’attente en présentant son livre magique à des gamins.

Dans la cahute,  café et thé accompagnés de beignets  trop sucrées mais délicieux.

 

 

 

 

On nous promet trois bonnes heures de trajet dans le désert de Nubie. Les prévisions soudanaises s’avèrent toujours optimistes, il faut traduire, et en clair ça signifie cinq à six heures de route.

 

 

 

 

 

 

Nous débarquons à Kerma  tardivement, en fin de journée.

 

 

Après avoir fait chou blanc chez Charles Bonnet,  on galère un peu pour trouver la seule locanda du village ; le locuteur anglais est aussi rare que les gouttes de pluie dans le secteur !

 

Des gamins nous indiquent une pancarte : le « Lord hôtel », ça sonne pas mal !

 

 

 

 Je vais jeter un coup d’œil sur la turne : j’ai un moment d’hésitation.

 

 

Je fais rapidement le « tour du propriétaire » et je me dis, « non, c’est pas possible, on ne dort pas ici ce soir… ». (Et bien si !)

 

 

Marie patiente avec les sacs dans la rue. Je ne lui annonce pas le paradis, mais elle s’en doute.

 

C’est vraiment déglingué.

 

 

 

Deux dortoirs crasseux pour travailleurs, des latrines et un robinet d’eau. Pour nous, étrangers, on a droit à la version luxe, une chambre rien que pour nous deux !

 

 

 

Bon, l’accès à la piaule  est un peu Rock’n Roll, un semblant de bout de carton en guise d’occultation  assure une intimité à la porte qui ferme difficilement à l’aide d’un crochet de fil de fer.

 

 

 

La nuit va tomber, nous sommes fatigués, les soudanais nous entourent avec beaucoup de sympathie…Nous n’avons pas d’alternative.

 

 

En Tanzanie au bord du Tanganyika, nous avions  déjà connu ce genre de situation, on n’en  meure pas.

 

 

L’espace de quelques instants le moral en prend un coup, malaise vite dissipé avec la gentillesse du patron qui nous indique le resto de la place :

Poisson du Nil, excellent !

 

 

 

Et puis il faut dormir, demain nous serons sur le site archéologique de Kerma une bonne partie de la journée.

 

 

 On l’a bien compris, ce n’est pas une nuit mais deux que nous passerons au village.

 

 

 

Les bus assurant le retour sur Dongola partent tôt, nous retrouverons donc notre « gîte » à un dollar cinquante (que peut-on exiger à ce prix-là ?) pour une seconde nuit.

 

 

 

 

Finalement on roupille assez bien et, relativement frais, on  part en marche pour le site de Kerma, le fief de Charles Bonnet !

 

 

Le Suisse a fouillé ! Avec passion, intuition et intelligence.

 

 

 La persévérance a porté ses fruits :

Bonnet et son équipe révélera la « civilisation de Kerma », considérée comme la première grande formation politique d’Afrique, nommée « Royaume de Koush » par les Egyptiens.

 

 

Quarante années de recherches qui aboutissent un jour de 2003 à la découverte de sept statues de Pharaons Noirs.

 

 

Sur le site de Kerma, un musée est spécialement dédié  à  cette découverte.

 

 

 

Sept statues presque intactes de pharaons nubiens de la 25e dynastie, dont certaines pèsent plusieurs tonnes, qui dormaient au fond d'un trou de trois mètres de profondeur, oubliées de l'histoire pendant deux millénaires et demi.

 

 

À Kerma, c'est un royaume antique noir que Charles bonnet met au jour.

 

Un royaume inconnu, totalement indépendant de l'Égypte, remontant à 2 500 ans avant Jésus-Christ.

Une civilisation africaine sans comparaison avec ce que l'on connaissait jusqu'à présent.

 

 

 

 

Le Soudan, c’est l’encrier au creux duquel  Charles Bonnet trempe sa plume  lorsqu’il décrit le site de Kerma:

 

 

 

« Avant d'être conquise par les Égyptiens, Kerma était une capitale nubienne, une ville africaine qui commerçait notamment avec des populations du pays de Pount, distant de plus de 1 000 kilomètres, sur les côtes de la mer Rouge.

 

 

 

Elle recevait de l'or, de l'ébène, de l'ivoire, de la myrrhe, des peaux de léopard ».

 

 

 

 

 

 

L’« égyptologie »  a longtemps occulté l'histoire spécifique du Soudan qui n'était vu que comme le prolongement Sud du rayonnement des pharaons.

 

 

Et bien entendu, les premiers "découvreurs" du début du siècle dernier, aveuglés par le colonialisme ambiant, ne pouvaient concevoir que la création d'une organisation élaborée traduisant un Etat complexe puisse être le fruit d'une société Noire africaine!

 

 

 

Un juste retour des choses pourrait entériner des terminologies telles que « Soudanologie » et « Soudanologues ».

 

 

 

 

Dans un très bel ouvrage collectif,  Olivier Cabon, amoureux du Soudan, photographe de missions archéologiques  précise :

 

 

 

 « Une royauté indépendante soudanaise a tenu tête à l'Égypte.

 

 

 

 

Les souverains de Kerma (Royaume nubien qui régna sur tout le cours moyen du Nil soudanais de l'Ancien Empire égyptien à la deuxième période intermédiaire égyptienne, soit entre les années - 2450 et - 1480, sur 1 000 km, NDLR) puis ceux de Napata (5850-290) et de Méroé (– 290- + 350) étaient redoutés des Égyptiens.

 

 

 

Entre – 850 et – 664, les « Pharaons noirs » de Napata ont même conquis l'Égypte et régné sur leur puissant voisin du Nord.

 

 

 

 

Les archers soudanais étaient aussi très craints.

 

 

 

A Wadi Halfa, on trouve sans doute la plus ancienne frontière du monde, car la zone d'influence de l'Égypte s'arrêtait précisément à cette ville soudanaise située sur les rives du lac Nasser ».

 

 

 

 

 

 

 

Histoire et civilisation du Soudan .Olivier Cabon (Editions Soleb bleu autour)

 

 

Charles Bonnet continue de fouiller  dans son jardin secret!

 

 

 

En 2016, à 700 mètres de l’ancienne Kerma, son équipe met  au jour une découverte exceptionnelle:

 

 

 

 

«Une ville antique entière, avec une porte de 100 mètres de long! Elle séparait ce que nous supposons être des habitations d’une zone de bâtiments officiels, palais cérémoniels et édifices religieux

 

 

 

 

« L’architecture des constructions est complètement originale, ni égyptienne ni nubienne».

 

 

 Et Charles Bonnet de constater:

 

 

 

 «Aucun équivalent n’a encore été mis au jour sur le continent africain, dont nous savons très peu de choses du point de vue archéologique

 

 

 

La nuit enveloppe Kerma,  ce soir ce sera poulet grillé et légumes des beaux jardins du bord du Nil.

 

 

Nous retrouverons nos sommiers métalliques, on s’endormira, des Pharaons Noirs plein la tête !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



22/01/2018
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