Nicaragua 10, Au-dessus d'"El Castillo", le bal des milans.
Nicaragua 10,
Au-dessus d’ « El Castillo », le bal des milans.
Le fort espagnol :
Imposant soldat de pierre dominant les rapides du rio San Juan.
La citadelle trapue observe l’amont et l’aval du fleuve.
Comme dans un manège, les milans noirs tournoient en altitude décrivant des cercles planants au-dessus des échauguettes du bastion.
En silence, rasant les remparts d’un vol souple et lent, les rapaces semblent encore protéger « El Castillo » d’un improbable coup de force venu des Caraïbes.
Le temps a passé, les canons se sont tus, la pierre a résisté et le ballet des milans n’a jamais cessé.
De leurs larges ailes déployées, les milans s’acharnent à voler au secours de la forteresse ! Fascinante chorégraphie !
Le village d’« El Castillo » s’agglutine sur la rive droite du fleuve. Épousant la courbe du rio, le pueblo dessine un croissant de lune.
Lune de miel ? Porque no ? Les ingrédients d’une escapade amoureuse pour les amateurs d’insolite et de paix sont réunis :
On n’y arrive pas par hasard…il faut le vouloir.
On accède à « El Castillo » uniquement en lancha, pas de route donc pas de voiture, pas d’internet donc pas de facebook, pas de journaux donc pas de mauvaises nouvelles !
Pas de poste, pas de banque non plus !
Des espèces sonnantes et trébuchantes comme par le passé ! Un retour aux choses simples sans doute.
El Castillo se résume à une parenthèse dans le temps, pareille à une éclaircie bienveillante venue calmer des modes de vie trop agités, trop nerveux.
Prendre le temps de ne rien faire, réapprendre la contemplation d’un fleuve, s’endormir dans un hamac en attendant que meurt 2015 et voir apparaitre la nouvelle année sur les bords du Rio San Juan, point de chute rêvé pour amollir le corps et reposer l’esprit !
Et le vol des milans !
À El Castillo, les habitants conservent la tradition du mannequin qu’on enflamme à minuit le 31 décembre.
Comme une marionnette désarticulée, sorte de polichinelle sans défense symbolisant l’année qui s’en va, le pantin prend feu sous les applaudissements de la population.
Garni de pétards, il explose, accélérant une joyeuse crémation censée consumer définitivement les mauvais moments de la vieille année !
Sous le fort, un alignement de roches barre le courant. À cet endroit, exagérément qualifié de « rapides », les flots du rio se brisent dans un ronronnement qui berce les nuits calmes du village.
L’endroit mérite le coup d’œil.
Nelson, pas encore amiral mais seulement capitaine, aurait perdu le sien lors d’un combat épique face aux espagnols dans les années 80 de l’époque 1700.
Aux yeux des historiens, il s’agirait d’une anecdote un peu « tape à l’œil » semble-t-il, une fable espagnole peu regardante sur la vérité historique !
Le borgne aurait reculé en déclarant :
« Voyons voir de plus loin ! »
Nous logeons à « El Albergue », édifice spacieux tout en bois qui faute d’entretien commence à souffrir !
Un genre d’auberge pour paresseux, avec des chambres s’ouvrant sur un superbe balcon face au fleuve.
Perchée au-dessus de l’embarcadère, l’imposante bâtisse ne fait aucun effort pour attirer le visiteur.
Atmosphère nonchalante.
En passant l’entrée on abandonne toute exigence de grand confort, les chambres sont presque propres, les sanitaires communs limites, la cuisine (mise à notre disposition) en grand bordel aimantent les chats autour des poubelles qu’on oublie trop souvent de vider.
Mais il y a la vue sur le San Juan:
Magnifique, ensorcelante! Et en accord avec la modicité du tarif de la nuitée, cette vue n’a pas de prix !
En contre-bas de « notre » balcon, El Cofalito, est certainement l’une des meilleures popotes au bord du fleuve !
Evita, une souriante Nica, s’est fait un nom dans le village :
Un bel emplacement en terrasse sur pilotis, une cuisine colorée et savoureuse.
Le cul étincelant des gamelles pendues au-dessus des fourneaux ne laisse aucun doute sur sa façon de travailler, ici tout est nickel !
Pour le réveillon, Evita se chargera de nous cuisiner du « poulet à sa façon » :
Un repas copieux et bon marché que nous emporterons sur notre balcon !
Ainsi s’effectuera la transition vers la nouvelle année, au bord d’un fleuve magique que Mark Twain remonta en 1866.
Peu de chose ont changé depuis que l’écrivain américain « découvrit » le fleuve.
Enchanté par la magnificence de la nature, Mark Twain, décrit dans son carnet de route « Voyages avec Mr Brown », une jungle envoutante, une forêt interdite et "un brouillard enveloppant les bois d’acajou, les cèdres et les amandiers poussant à des hauteurs inconnues…"
(L’auteur a peut-être voulu parler du tek)
L’histoire ne dit pas si l’aventurier, passionné des horizons oubliés, prit le temps de visiter les plantations de cacaotiers.
Dès les années 1860, la fève de cacao du Nicaragua fait saliver le monde entier:
Un Français a du flair, il délaisse la production de médicaments pour s’intéresser au chocolat qui jusqu’alors sert à enrober les gélules.
Réservé à la couronne d’Espagne, le cacao du Nicaragua est considéré comme un des plus fins au monde.
Le visionnaire Emile-Justin Menier fait l’acquisition de terres et arme des navires pour transporter les fèves, l’aventure du chocolat Menier va pouvoir alors commencer !
A El Castillo, la production est modeste, une petite coopérative vend essentiellement pour les industriels Allemands, on y boit un très bon chocolat, et on peut, sans se pâmer, croquer dans la tablette :
Si les cabosses bio sont de bonne qualité, le savoir-faire pour le produit final reste l’apanage des Européens.
Le rio San Juan est encore endormi lorsque nous embarquons à 5h sur la lancha rapida.
Nous serons de bonne heure à San Carlos et passerons la frontière dans la journée, ce soir nous serons au Costa Rica.
Nous quittons le Nicaragua, un pays que nous avons adoré !...Et nous quittons aussi Elsa, sympathique Française avec qui nous avons fait un bon bout de chemin…Une très belle rencontre avec une jeune femme qui a les pieds sur terre !
Quand vous arriverez à El Castillo, levez la tête vers le fort: tournoyant en escadrille, devant vous, le vol des milans !
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