Nicaragua 9, El rio San Juan...Une halte à Sabalos.
Nicaragua 9, El Rio San Juan… Une halte à Sabalos.
« Ils ont encore laissé la lumière dans le couloir !»
Le dérangement est une notion assez vague au Nicaragua…Personne ne dérange personne et donc personne n’est dérangé !
Sur les planchers grinçants de l’hospedaje Clarissa, les premiers pas des lève-tôt font trembler la baraque.
Ceux-là croisent les couche-tard, « Buenas dias ! »… On se salue.
Ignorant les bonnes manières, ça discute fort, ça se mouche bruyamment et ça pisse debout dans la cuvette. Parfois à côté. Les hommes bien entendu.
Cliquetis de cadenas qu’on déverrouille, portes qui couinent.
Cloisons désespérément trop minces !
Je renonce à sortir du pageot une troisième fois pour éteindre l’ampoule fixée de traviole au milieu du corridor.
Clarté filtrante sous la porte, raies de lumière blanche oblique zébrant les draps du lit.
Il est 4h30, les coqs claironnent.
Au loin, d’un long cri rauque retentissant, les singes hurleurs battent le rappel. La jungle s’ébroue.
Une pluie lourde et droite cabosse la tôle ondulée.
Le boucan de la violente averse ne parvient pas à couvrir les hurlements d’un cochon, tout proche, probablement dans la cour, en bas, sous la tôle rouillée.
Je devine la gorge du goret proprement tranchée, un jet de sang chaud bouillonnant se mêlant à la pluie tropicale, et tout près, le ruisseau gonflé charriant des barquettes de polystyrène, des canettes vides et des sacs plastiques.
Dans l’aube naissante, hommes, femmes et gamins chargés de paquets descendent vers le fleuve :
Les premières lanchas ne vont pas tarder à glisser sur les eaux calmes du Rio San Juan.
Le cochon, la couenne bientôt froide, ne braille plus ! La pluie a cessé. Vapeur qui monte du sol, odeur d’humus.
Humidité persistante, j’enfile mon tricot de la veille…
collant.
Les tôles s’égouttent. La tôle ondulée partout !
Sac sur le dos, nous bougeons vers le quai d’embarquement, nous allons quitter Sabalos, nom de l’affluent du San Juan qui baptise aussi le modeste village.
Un interlude bien placé sur le cours du fleuve, une halte brève dans cet authentique pueblo simple, pauvre mais souriant.
Ceux qui souhaitent de meilleures commodités traverseront le Sabalos pour rejoindre l’hôtel éponyme ; au confluent du rio San Juan, accroché à de solides terrasses de bois sombre, l’hôtel sur pilotis embrasse un large méandre du rio.
Décor de rêve flottant sur le fleuve:
La bohème, en mode tarzan et Jane, modernisée.
Établissement impeccablement tenu, la classe !
Pas vraiment couleur locale (le fibrociment a chassé la tôle !), mais un charme certain !
Après la pluie chaude, une vapeur cotonneuse enveloppe la cime des arbres. Dans cet instant matinal, le village semble « comater » et nous avec !
Impression d’Amazonie.
Les commédores vont bientôt ouvrir.
En attendant, le café brulant trop sucré s’échappe des thermos, les barbecues sont mis en route, quelques femmes installent leur commerce sur le muret de l’embarcadère.
Des 4x4, surgis on ne sait d’où, garés en vrac, se positionnent pour soulager les lanchas :
Les pick-up embarqueront les sacs de riz, caisses de tomates, yuccas, papayes, haricots secs…
Sabalos et le Rio San Juan s’éveillent.
Chez Gomez, « Un lugar para recordar », Reina pousse du balai les détritus de la veille.
Reina se couche tard et se lève tôt. Dans son comédor on y mange de bonnes soupes, légumes croquants et œuf poché dans le bouillon. Oignons pimentés au vinaigre à disposition sur chaque table.
De sa terrasse perchée au-dessus du fleuve, pareil à un balcon d’opéra, le spectacle est permanent sur le ballet des canots.
Grand écran en Technicolor sur les gamins patouillant dans les eaux limoneuses tandis que les femmes, la journée durant, inlassablement lavent le linge.
Un chien nage vers la rive d’en face ignorant les étroites barcasses bâchées qui assurent le passage d’un bord à l’autre.
Ceinturé d’une épaisse jungle, le fleuve, dans son errance vers la mer des Caraïbes, serpente au cœur d’une biosphère la mieux protégé d’Amérique Centrale.
Faune et flore d’exception ! Difficile d’accès.
Sur ces bords oubliés, à cent lieues du monde, des habitations lacustres isolées guettent le passage des bateaux.
Des chevaux scellés, retenus à un tronc d’arbre par le licou, patientent sur les berges.
Fleuve mythique empreint de nostalgie et d’histoires aventureuses, le rio San Juan, objet de tous les désirs, fût un temps le couloir magique qui unissait deux océans.
Les pirates l’avaient compris. En remontant son cours depuis la mer des Caraïbes, ils accédaient au lac Nicaragua et une fois parcourue la faible distance terrestre séparant l’Est du lac de l’océan, il leur suffisait de réembarquer côté Pacifique!
À l’occasion, si le besoin se faisait sentir, on pouvait piller San Carlos et même dévier sa route pour mettre à sac l’opulente Granada !
Les aventuriers de l’époque s’affranchissaient ainsi de l’interminable et incertain périple contournant le cap Horn et le sud du continent.
Prodigieux gain de temps pour toucher la côte Ouest du Nouveau Monde nord-américain riche de promesses et d’espoir!
Dès 1524, le conquistador Cortès, à la cour des Grands de la puissante Europe, déclara :
« Celui qui possède le passage entre les deux océans pourra se considérer maitre du monde ! »
La colonisation de la région allait pouvoir commencer.
Durant des siècles le rio San Juan sera la principale route commerciale entre Atlantique et Pacifique.
Beaucoup plus tard, le percement du canal de Panama allait mettre un terme à cette aventure maritime.
Tombé depuis dans l’oubli, le fleuve ne supporte plus que les lanchas à fond plat qui maintiennent l’indispensable liaison entre quelques rares gros bourgs disséminés le long de ses deux cents kilomètres de lacets sinueux.
Les pêcheurs en canoës balancent les filets dans les eaux argileuses.
Pour certains amateurs, on y pratique aussi la « pêche au gros » :
Le Sabalo Real peut tendre le fil jusqu’à rompre…
Avec parfois 150kg et deux mètres cinquante au bout de l’hameçon, prévoir une grande épuisette pour loger la bête au dos luisant !
José arpente le quai encombré de ballots, de sacs et de cartons ficelés. Portable collé à l’oreille, il semble organiser le fret.
Le bonhomme doit approcher le quintal et demi, torse proéminant couvert d’un Tshirt aux couleurs fatiguées de la bannière étoilée.
C’est un sympathique curieux.
Il veut savoir d’où nous venons ! Tout heureux, il localise la Bretagne sur son portable, assez fier de nous montrer que la 3G fonctionne à merveille dans le trou du cul de l’Amérique Centrale !
José vient de Managua mais s’abrite à Sabalos.
Ici c’est « tranquilo » nous dit-il.
Soulevant son Tshirt, il dévoile une longue boursouflure, cicatrice hésitante qui lui traverse la panse en diagonale : « ça c’est Managua ! » renchérit-il dans un éclat de rires !
Avant que nous embarquions, José nous fait profiter sur son portable à tout faire de l’inoxydable Pascal Danel chantant « la plage aux romantiques ».
José adore, c’est un tube qui marche fort surtout en été, dit-il !
« Laissooooons la plage aux romantiiiiiques, ce soir j’ai envie de t’aimeeeeeer … » : Avec l’accent Nica, le bougre ne manque pas de talent ! …Surréaliste !
En provenance de San Carlos, la lancha frôle délicatement les pneus protecteurs du quai de Sabalos.
Nous montons à bord et allons poursuivre notre route au fil du courant du rio San Juan.
Les tôles ondulées s’effacent, au loin Sabalos n’est plus qu’un point minuscule sur le bord du rio, la jungle verte emprisonne le fleuve.
Bientôt la silhouette massive du fort espagnol d’El Castillo surplombera les rapides du rio.
C’est ici, durant cinq jours, devant l’onde magnétique du San Juan que nous changerons d’année.
« Laissons la plage aux romantiques…ce soir j’ai envie de t’aimer…Il y avait sur cette plage…. »
Sacré José !
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