Viet Nam 7, Au coeur du delta
Viet Nam 7,
Au cœur du delta.
Les voyages sont la partie frivole de la vie des gens sérieux et la partie sérieuse des gens frivoles…
Anne Sophie Swetchine
En silence, le sampan glisse sur les eaux grises de sédiments en suspension.
La longue perche s’enfonce régulièrement dans le fond vaseux du fleuve.
À l’arrière de la barque chargée de légumes et de fruits, elle se tient debout, les deux mains enserrant le haut de la longue gaule.
Chaque coup de perche lui incline le buste dans un mouvement de balancier.
Elle porte une mantille noire brodée, relevée comme un chignon sur sa tête, signe que cette femme, appartenant à la minorité musulmane Cham, est mariée.
Les jeunes filles Cham célibataires laissent la mantille tomber sur leurs épaules.
La femme qui guide son bateau à fond plat, s’en va au marché ambulant, là où le commerce s’agite tôt le matin.
Nous sommes à Chau Doc, dans le delta du Mékong, une petite ville du Viet Nam qui flotte sur un inextricable réseau de cours d’eau fuyants vers la frontière du Cambodge.
C’est ici, dans l’immense delta, que se confondent la terre, l’eau et le ciel…
Près de vingt millions d’âmes, paysans pour la plupart, se partagent les « neufs dragons » qui déversent ses eaux boueuses dans le vert émeraude de la mer de Chine méridionale.
Dessiné comme une toile d’araignée, un réseau hydrographique dense irrigue les vergers de mangues et de pomelos verts ; les pamplemousses verts sont délicieux, ils murissent protégés individuellement sous des sachets de papier blanc.
Les riches alluvions du fleuve, conjuguées à une forte amplitude des marées, ont fait du delta le pôle agricole le plus important du Viet Nam :
Quarante pour cent de la production alimentaire est issue de cet immense grenier à riz.
Revers de la médaille, on ne prend guère soin de l’eau du Mékong ; Les détritus s’amoncellent au pied des pilotis des villages flottants et l’utilisation massive des pesticides dans les rizières menacent chaque jour un peu plus la survie du fleuve nourricier.
Cette région de luxuriance tropicale est placée sous le signe de l’eau :
D’innombrables ponts reliant les îles plantées de cocotiers sont autant de traits d’union entre les voies d’eau qui veinent le fertile delta.
Certaines iles sont renommées pour leurs spécialités, c’est le cas de Vinh Long où fleurissent les pépinières et l’art taupier qui sculpte les bambous et les buis de manière remarquable.
Parfois au détour d’un chemin, sur une île oubliée, une table de campagne s’improvisera pour recevoir le touriste égaré :
la nourriture est simple mais savoureuse et généreuse…Le sourire des paysannes accompagnera l’étranger venu se délasser le temps d’un repas.
Près du restaurant de fortune, dans l’ombre des palmiers, la tombe de l’ancêtre repose sous le regard de ses enfants.
Chaque matin, des bâtons d’encens se consumeront au devant de la sépulture ;
L’âme des morts est vivante, elle observe, conseille et parfois juge les descendants.
On peut se perdre dans le delta, ne plus vraiment savoir où l’on est, ne plus reconnaitre la résonance de la langue Vietnamienne, car la population Khmer, très importante minorité venue du Cambodge, domine sur certains espaces flottants.
Le delta est un foisonnement de cultures, une fusion de senteurs de cuisine parfumées, un saisissement de chaleur moite qui s’accentue à l’approche du Cambodge.
Le delta façonne la vie lacustre de millions d’hommes et de femmes très pauvres, qui comme souvent, donnent beaucoup parce qu’ils ont peu.
Le delta est un Viet Nam différent, peu flatteur, éloigné des cartes postales…
« Authentique », si souvent galvaudé, semble être ici, le juste mot pour qualifier l’embouchure tentaculaire.
Sous le regard paisible des Vietnamiens, les fleurs de lotus, tous les jours, s’ouvrent au soleil du Mékong.
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