Le Ranquet en Vadrouille...Carnet de route.

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Viet Nam 6, Saïgon..

Viet Nam 6, Saïgon…

 

Ah monsieur d’Ormesson, vous osez déclarer

Qu’un air de liberté flottait

Sur Saïgon

Avant que cette ville s’appelle

Ville Ho-Chi-Minh…


Un air de liberté (1975)
Citations de Jean Tenenbaum, dit Jean Ferrat

 

 

« …vous savez, depuis 75…on dit Ho-Chi-Minh.. »

 

Courbée, elle continue à balayer l’étroit couloir à ciel ouvert qui permet le passage entre deux rangées de niches du columbarium où reposent les cendres de son père.

 

« …Non, vous n’avez pas bien compris ma question…je vous demande quel nom utilisez vous lorsque vous parlez de la grande ville du sud ? Vous, que dites vous ?… Ho-Chi-Minh ou Saïgon ? »

 

Son père est mort il y a quelques années.

 

Au pied du Bouddha géant, elle vient dans cet espace de recueillement brûler les bâtons d’encens, une marque du respect des ancêtres.

 

« …mon père parlait bien le Français...C’est lui qui m’a appris…je regrette de ne pas parler plus souvent Français »

 

Elle se redresse tenant le balai d’herbes à manche court d’une main et rajustant ses cheveux blancs de l’autre : elle a soixante dix ans passés, son regard est vif ; c’est une vieille femme élégante, encore belle…Un léger tremblement agace sa lèvre inférieure lorsqu’elle cherche son vocabulaire de Français. Parfois elle ferme les yeux semblant vouloir trouver le mot juste pour répondre.

 

« …Vous restez longtemps au Viet Nam ? » me demande-t-elle.

Sans répondre à sa question, je reviens à la charge, sourire appuyé, en lui disant :

 

« Alors madame…Vous dites Ho-Chi-Minh ou Saïgon ? »

 

Elle prend soin de baisser la voix dans ce cimetière baigné d'une blanche lumière de fin de matinée, et finalement me répond :

 

«  Saïgon monsieur…j’ai toujours dit Saïgon ! »

 

Cette dame, marquée par les guerres et la révolution communiste, nous a confié avec émotion l’amour qu’elle portait à son père, et a évoqué avec une nostalgie captivante la période « française » de son enfance.

Une telle rencontre, fruit du hasard de notre ballade au pied de la pagode géante de Nha Trang, fût suffisante pour faire de cette journée un beau moment de voyage.

 

Quelques jours auparavant nous avions échangé avec M., une Vietnamienne qui vit depuis des années dans le sud de la France. Profitant d’une retraite anticipée, ancienne ingénieure d’un important groupe industriel français, elle envisage maintenant de partager son temps entre la Provence et son pays natal.

M. est sans concession avec le régime actuel et c’est sans ambigüité qu’elle me dit :

 

« …Je ne supporte pas qu’ils me parlent de la « Libération » de 75…la révolution de 75, je veux bien…mais osez parler de « Libération » lorsque l’on confisque les terres, les avoirs, les voitures... non... cela m’est insupportable ! »

 

 C’est là un vaste débat dans lequel le visiteur de quelques jours ne peut guère qu’observer sans y prendre part, car le procès des uns peut paraître aussi tranchant que le jugement des autres.

Cependant, et à l’évidence, l’animosité est bien réelle entre le Nord et le Sud, avec en ce moment une contestation du gouvernement actuel qui « unit » l’ensemble du pays.

 

Au bout de quinze jours de voyage dans ce superbe Viet Nam, nous étions fin prêts à découvrir le charme de la belle dame du Sud : Saïgon.

 

Faute de place disponible dans les trains et les avions en raison de la forte migration des Vietnamiens lors de la fête du Têt, c’est en bus de nuit que nous avons rallié la plus importante métropole du pays : plus de sept millions d’habitants respirent derrière des masques à proximité du delta du Mékong.

 

Ici subsiste encore une certaine idée de la France « d’avant » : la cathédrale Notre-Dame, édifiée en briques de Toulouse, qui côtoie la poste centrale et sa superbe structure métallique voulue par Gustave Eiffel, illustrent le temps aventureux des colonies où depuis Marseille, un mois de bateau était nécessaire pour rejoindre Saïgon et la nonchalante Indochine.   

 

Sous influence française durant presque cent ans, la capitale économique du Viet Nam en aura gardé finalement peu de chose, si ce n’est dans son centre un aspect aéré, où de grands boulevards ombragés bordant des parcs résistent à une urbanisation définitivement moderne.

 

L’ancien quartier Chinois de Cholon bouillonne toujours comme un chaudron de soupe aux nouilles subtilement parfumée à la citronnelle et aux piments ravageurs : une effervescence, chaude et transpirante, s’empare du marché, véritable caverne d’Ali Baba, où l’on trouve tout et même le pire.

 

Saïgon est une ville emblématique: fleuron colonial de l’empire français d’autrefois, la ville est devenue le symbole vivant de l’échec cuisant des Américains qui ont dû fuir en catastrophe celle qui allait devenir Ho-Chi-Minh.

Durant vingt ans et cinq millions de victimes plus tard, après avoir tenté vainement de contenir ce « petit » peuple qui allait imposer une dictature communiste, l’Oncle Sam laissera derrière lui un pays dévasté qui à force de courage s’est reconstruit dans la douleur.

 

 L’interminable conflit que fut la guerre du Viet Nam est parfaitement évoqué au « musée des souvenirs de guerre » qui relate cette époque tragique de l’Histoire du pays.

(Nombreuses photos de Robert Capa (1954) et de Henri  Huet (1971) tous les deux tués lors des conflits successifs)

 

Les Vietnamiens, encore maintenant, continuent de payer la note : cinquante années après, des victimes à retardement de « l’agent orange » sont à déplorer dans les naissances.*(1)

 

On dit parfois les Vietnamiens fermés ou intéressés par le « business » et les dollars, arnaqueurs et peu souriants…

Certains touristes quittent le Viet Nam déçus et font une comparaison inopportune avec la Thaïlande, puis mettent en garde les futurs voyageurs sur cette destination Indochinoise; c’est oublier facilement d’où vient ce pays, ce qu’il a subi, et son incroyable histoire…

 

Nous avons rencontré un Viet Nam accueillant, chaleureux, sincère dans les campagnes…Il a fallu hausser le ton une seule fois pour payer le juste prix dans un restaurant où nous étions les seuls étrangers à déjeuner. Banal en somme !

 

Mieux vaut se souvenir des bonnes soupes à Saïgon, de ses rues pétaradantes, des bars qui servent la bière fraiche dans les  rues chaudes des vieux quartiers…

 

Quand le soleil s’efface, le soir sous les éclats des lumières,  Ho-chi-Minh ville redevient Saïgon.

 

*(1) voir publication d’article de presse en complément : « Cinquante ans après »

 

 



03/03/2013
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